Dom Juan, IV, 4 :
Dom Louis sermonne son fils.
Situation :
DJ a abandonné sa
nouvelle épouse Elvire. Il est poursuivi par les frères de
celle-ci. Cela ne l’empêche pas d’essayer de séduire de
nouvelles victimes. Il a sauvé involontairement un des frères
d’Elvire qui a reporté le duel. Il a vu la statue du commandeur
qui lui a fait signe. Rentré chez lui, il reçoit une série de «
fâcheux » : M. Dimanche, un bourgeois à qui il doit de l’argent,
puis, dans notre scène, son père, et enfin plus tard, Elvire et la
statue du commandeur. Dans cette scène, dom Louis vient rappeler son
fils à ses devoirs de gentilhomme. Il fait un discours bien
structuré qui rappelle à DJ les valeurs de l’aristocratie. Cette
tirade trace le portrait de dom Louis et complète celui de dom Juan.
I/ Un discours qui
condamne Dom Juan et lui rappelle les valeurs aristocratiques.
On peut suivre la
structure rhétorique très classique :
A/L’exorde (préambule,
prologue) (« déportements »). À l’opposé de la captatio
benevolentiae, Dom Louis marque d’emblée son mécontentement. Il
souligne ses dissensions avec son fils « nous nous incommodons l’un
l’autre » « si vous êtes las, je suis las ». Cette lassitude du
père implique la suite : la situation passée et à venir.
B/ « hélas…consolation
». Couplet à la fois lyrique et pathétique sur la déception
d’avoir un tel fils. Il souligne qu’il l’a beaucoup désiré,
ce qui lui donne de la valeur, et qu’il a été d’autant plus
déçu. Thème du Ciel qui sait mieux que l’homme ce qui lui
convient. Art du discours : rythme ternaire des deux longues phrases
qui met en valeur l’opposition entre le souhait et la réalité. La
première, avec « nous » qui généralise : trois « quand » ou
équivalents qui décrivent l’erreur commise, avec des termes
péjoratifs « savons peu, plus avisés que lui, importuner, aveugles
inconsidérés », soulignent le manque de perspicacité de l’homme
face à son destin. La seconde, avec retour au « je » personnel :
deux propositions qui décrivent ce qu’il a fait, avec termes qui
insistent sur la force de ses désirs « ardeurs nonpareilles » ; «
sans relâche » ; « transports incroyables» ; puis une proposition
qui constitue une chute et un contraste (introduite par « et »), où
la construction parallèle des noms soulignent la déception : «
chagrin, supplice / consolation, joie ». Le lyrisme est renforcé
par l’exclamation « hélas » et l’anaphore « j’ai » ainsi
que par des accumulations et des parallélismes.
C/ « De quel œil… en
infâmes ». Exhortation (admonestation, incitation). Suite de
questions indignées sur la conduite de dom Juan qui déroge aux
valeurs de sa classe sociale. Ce sont des questions rhétoriques, dom
Juan étant censé en connaître les réponses comme son père. Champ
lexical de l’indignité : « actions indignes, méchantes affaires,
bassesse, infâmes ». Ce champ s’oppose à celui de la noblesse :
« souverain, crédit, mériter, naissance, vanité, gentilhomme,
nom, armes, sang noble ». Dom Louis souligne l’incompatibilité
entre l’appartenance à la noblesse et la conduite de DJ. Cela
débouche sur l’idée d’indignité par rapport à cette classe.
Au passage, dom Louis rappelle ce qu’il a dû faire pour sauver son
fils de la punition royale, en s’appuyant sur l’influence de ses
amis (solidarité de classe).
D/ Leçon sur les devoirs
du gentilhomme. « Non, non … vivrait comme vous ». Dom Louis
développe ce qu’est à ses yeux le bon comportement. Il reprend le
« nous » pour désigner la classe. Le présent de vérité
générale, esquissé dans les dernières phrases, se généralise et
s’impose sous la forme d’aphorismes proches de l’alexandrin «
La naissance n’est rien où la vertu n’est pas » ; « un
gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, la vertu est
le premier titre de noblesse ». Champ lexical de la noblesse «
naissance, vertu, ancêtres, éclat de leurs actions, descendants,
né, gloire, flambeau » ; le mot « vertu » est répété, il
désigne la qualité première du noble. Elle est associée à l’idée
de sang et de famille, car la noblesse se transmet de génération en
génération. D’où
champ lexical opposé de
dégénérescence : « dégénérer, descendez en vain, vous
désavouent pour leur sang, déshonneur, honte, monstre » Dom Louis
énonce pour terminer « apprenez enfin... » l’idée presque
révolutionnaire que le gentilhomme doit mériter sa place et que le
crocheteur honnête homme est supérieur au gentilhomme méchant
homme. Il suggère que DJ n’a rien fait pour naître gentilhomme.
On retrouvera cette idée chez Beaumarchais juste avant la Révolution
dans le monologue de Figaro : « Qu’avez-vous fait pour tant de
biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus».
E/ Péroraison Après
l’interruption de DJ, Dom Louis conclut « non, insolent ». Il lui
annonce qu’il va prendre des mesures contre lui. En clair, il va le
déshériter et/ou le faire mettre en prison pour le punir et le
faire échapper à la punition divine. La formule finale est très
violente « la honte de t’avoir fait naître » : c’est une
malédiction paternelle. Ce discours très structuré, solennel, qui
se réfère aux valeurs nobles est pathétique. Il pourrait
appartenir à la tragédie. Il contraste avec la scène précédente,
franchement comique.
II/ Portraits de Dom
Juan et de dom Louis.
A/ Dom Juan
1/ D’après son père :
quelqu’un qui a déçu l’espoir mis en lui, la filiation honteuse
; quelqu’un qui trahit les valeurs de sa classe, vertu, honneur, et
donc qui en est indigne ; quelqu’un qui a épuisé l’aide qu’il
pouvait espérer et est menacé d’être puni.
2/ D’après son
attitude : il est furieux de la visite de son père avant et après,
c’est une monstruosité par rapport au respect dû au père ; il
lui répond avec insolence froide, cherche à éluder la discussion,
il est indifférent et méprisant. DJ est un libertin qui affirme son
individualisme, sa liberté et pour cela refuse les contraintes liées
à son milieu.
B/ Dom Louis n’est pas
un père de comédie, il a un certain pouvoir mais a du mal à
l’exercer. Il n’est pas ridicule mais pathétique. Il est
comparable à don Diègue dans Le Cid, qui demande à son fils de le
venger (même vocabulaire), mais on est à la génération suivante
(Le Cid a été écrit sous Louis XIII).
Conclusion :
Ce texte a donc une
fonction dramatique, parce qu’il rappelle ce que DL a fait pour son
fils et annonce la punition. L’intervention de DL fait partie de
toutes les visites qui réclament justice à DJ. Mais pour Dom Juan
toutes ces visites sont celles de fâcheux qui l’empêche de dîner.
La scène 4 de l’acte IV met plus que jamais en évidence la
révolte du héros contre son père : salir le nom de Tenorio, c’est
salir son père.
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