lundi 11 février 2013


Dom Juan, IV, 4 : Dom Louis sermonne son fils.

Situation :

DJ a abandonné sa nouvelle épouse Elvire. Il est poursuivi par les frères de celle-ci. Cela ne l’empêche pas d’essayer de séduire de nouvelles victimes. Il a sauvé involontairement un des frères d’Elvire qui a reporté le duel. Il a vu la statue du commandeur qui lui a fait signe. Rentré chez lui, il reçoit une série de « fâcheux » : M. Dimanche, un bourgeois à qui il doit de l’argent, puis, dans notre scène, son père, et enfin plus tard, Elvire et la statue du commandeur. Dans cette scène, dom Louis vient rappeler son fils à ses devoirs de gentilhomme. Il fait un discours bien structuré qui rappelle à DJ les valeurs de l’aristocratie. Cette tirade trace le portrait de dom Louis et complète celui de dom Juan.

I/ Un discours qui condamne Dom Juan et lui rappelle les valeurs aristocratiques.

On peut suivre la structure rhétorique très classique :
A/L’exorde (préambule, prologue) (« déportements »). À l’opposé de la captatio benevolentiae, Dom Louis marque d’emblée son mécontentement. Il souligne ses dissensions avec son fils « nous nous incommodons l’un l’autre » « si vous êtes las, je suis las ». Cette lassitude du père implique la suite : la situation passée et à venir.

B/ « hélas…consolation ». Couplet à la fois lyrique et pathétique sur la déception d’avoir un tel fils. Il souligne qu’il l’a beaucoup désiré, ce qui lui donne de la valeur, et qu’il a été d’autant plus déçu. Thème du Ciel qui sait mieux que l’homme ce qui lui convient. Art du discours : rythme ternaire des deux longues phrases qui met en valeur l’opposition entre le souhait et la réalité. La première, avec « nous » qui généralise : trois « quand » ou équivalents qui décrivent l’erreur commise, avec des termes péjoratifs « savons peu, plus avisés que lui, importuner, aveugles inconsidérés », soulignent le manque de perspicacité de l’homme face à son destin. La seconde, avec retour au « je » personnel : deux propositions qui décrivent ce qu’il a fait, avec termes qui insistent sur la force de ses désirs « ardeurs nonpareilles » ; « sans relâche » ; « transports incroyables» ; puis une proposition qui constitue une chute et un contraste (introduite par « et »), où la construction parallèle des noms soulignent la déception : « chagrin, supplice / consolation, joie ». Le lyrisme est renforcé par l’exclamation « hélas » et l’anaphore « j’ai » ainsi que par des accumulations et des parallélismes.

C/ « De quel œil… en infâmes ». Exhortation (admonestation, incitation). Suite de questions indignées sur la conduite de dom Juan qui déroge aux valeurs de sa classe sociale. Ce sont des questions rhétoriques, dom Juan étant censé en connaître les réponses comme son père. Champ lexical de l’indignité : « actions indignes, méchantes affaires, bassesse, infâmes ». Ce champ s’oppose à celui de la noblesse : « souverain, crédit, mériter, naissance, vanité, gentilhomme, nom, armes, sang noble ». Dom Louis souligne l’incompatibilité entre l’appartenance à la noblesse et la conduite de DJ. Cela débouche sur l’idée d’indignité par rapport à cette classe. Au passage, dom Louis rappelle ce qu’il a dû faire pour sauver son fils de la punition royale, en s’appuyant sur l’influence de ses amis (solidarité de classe).

D/ Leçon sur les devoirs du gentilhomme. « Non, non … vivrait comme vous ». Dom Louis développe ce qu’est à ses yeux le bon comportement. Il reprend le « nous » pour désigner la classe. Le présent de vérité générale, esquissé dans les dernières phrases, se généralise et s’impose sous la forme d’aphorismes proches de l’alexandrin « La naissance n’est rien où la vertu n’est pas » ; « un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, la vertu est le premier titre de noblesse ». Champ lexical de la noblesse « naissance, vertu, ancêtres, éclat de leurs actions, descendants, né, gloire, flambeau » ; le mot « vertu » est répété, il désigne la qualité première du noble. Elle est associée à l’idée de sang et de famille, car la noblesse se transmet de génération en génération. D’où
champ lexical opposé de dégénérescence : « dégénérer, descendez en vain, vous désavouent pour leur sang, déshonneur, honte, monstre » Dom Louis énonce pour terminer « apprenez enfin... » l’idée presque révolutionnaire que le gentilhomme doit mériter sa place et que le crocheteur honnête homme est supérieur au gentilhomme méchant homme. Il suggère que DJ n’a rien fait pour naître gentilhomme. On retrouvera cette idée chez Beaumarchais juste avant la Révolution dans le monologue de Figaro : « Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus».

E/ Péroraison Après l’interruption de DJ, Dom Louis conclut « non, insolent ». Il lui annonce qu’il va prendre des mesures contre lui. En clair, il va le déshériter et/ou le faire mettre en prison pour le punir et le faire échapper à la punition divine. La formule finale est très violente « la honte de t’avoir fait naître » : c’est une malédiction paternelle. Ce discours très structuré, solennel, qui se réfère aux valeurs nobles est pathétique. Il pourrait appartenir à la tragédie. Il contraste avec la scène précédente, franchement comique.

II/ Portraits de Dom Juan et de dom Louis.

A/ Dom Juan
1/ D’après son père : quelqu’un qui a déçu l’espoir mis en lui, la filiation honteuse ; quelqu’un qui trahit les valeurs de sa classe, vertu, honneur, et donc qui en est indigne ; quelqu’un qui a épuisé l’aide qu’il pouvait espérer et est menacé d’être puni.
2/ D’après son attitude : il est furieux de la visite de son père avant et après, c’est une monstruosité par rapport au respect dû au père ; il lui répond avec insolence froide, cherche à éluder la discussion, il est indifférent et méprisant. DJ est un libertin qui affirme son individualisme, sa liberté et pour cela refuse les contraintes liées à son milieu.

B/ Dom Louis n’est pas un père de comédie, il a un certain pouvoir mais a du mal à l’exercer. Il n’est pas ridicule mais pathétique. Il est comparable à don Diègue dans Le Cid, qui demande à son fils de le venger (même vocabulaire), mais on est à la génération suivante (Le Cid a été écrit sous Louis XIII).

Conclusion :

Ce texte a donc une fonction dramatique, parce qu’il rappelle ce que DL a fait pour son fils et annonce la punition. L’intervention de DL fait partie de toutes les visites qui réclament justice à DJ. Mais pour Dom Juan toutes ces visites sont celles de fâcheux qui l’empêche de dîner. La scène 4 de l’acte IV met plus que jamais en évidence la révolte du héros contre son père : salir le nom de Tenorio, c’est salir son père.

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